mercredi 16 février 2011

René Daumal (1908-1944)


FEUX À VOLONTÉ

L'être humain est une superposition de cercles vicieux. Le grand secret, c'est qu'ils tournent bien d'eux-mêmes. Mais les centres de ces cercles sont eux-mêmes sur un cercle; l'homme sort du dernier pour rentrer dans le premier. Cette révolution n'échappa pas aux yeux des sages; eux seuls échappent au tourbillon et en le quittant le contemplent. - Harmonie des sphères, cosmique des cœurs, astres-dieux de la pensée, brûlants systèmes forgés de chair en chair, car toute souffrance est l'abandon d'une chair, qu'elle soit rouge de sang, orangée de rêve ou jaune de méditation; les astrolabes perce-cœur chauffés à blanc, loin des pièges à bascule, sous les escaliers du démon, et l'air vif du large qui déjà s'épaissit en boue. La trajectoire réelle de l'acier céleste à travers la gorge pendant que les hommes d'en bas s'exercent à éternuer - car on voit tout de là-haut, et tout est vrai de plus de mille façons, mais toutes ces façons de comprendre ne valent que réunies, bloc-un-tout, dieu blanc-noir, zèbre céleste et plus rapide... oh! dites-moi, les sauvages n'ont-ils jamais élevé dans la forêt vierge la monstrueuse statue du Zèbre-dieu? Dieu de toutes les contradictions résolues entre quatre lèvres : et ce n'est même plus la peine, l'élan est donné et le monde croule, et la lumière n'a pas besoin de prismes pour se disperser, et tout le réel changeant immuable - chocs des mots, folie inévitable des discours humains, choc-colère cahotant ses cris, ses faux espoirs - escroquerie de Prométhée, victoire pantelante soumise aux langues de feu, avec la couronne tourbillonnante des soleils, les petits alliés des Hommes... MAIS LES GRANDS ANTI-SOLEILS NOIRS, PUITS DE VÉRITÉ DANS LA TRAME ESSENTIELLE, DANS LE VOILE GRIS DU CIEL COURBE VONT ET VIENNENT ET S'ASPIRENT L'UN L'AUTRE, ET LES HOMMES LES NOMMENT « ABSENCES ». Qui leur apprendra ce qu'est l'être, et qu'ils ne font que penser le non-être à leur mesure? Soumis aux langues de feu, tournez votre visage vers les flammes, vers le baiser divin qui vous arrachera les dents d'un seul coup.

1928

(Le Contre-ciel, 1936)

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