vendredi 4 février 2011

André Breton (1896-1966)



RIDEAU RIDEAU

Les théâtres vagabonds des saisons qui auront joué ma vie
Sous mes sifflets
L'avant-scène avait été aménagée en cachot d'où je pouvais siffler
Les mains aux barreaux je voyais sur fond de verdure noire
L'héroïne nue jusqu'à la ceinture
Qui se suicidait au début du premier acte
La pièce se poursuivait inexplicablement dans le lustre
La scène se couvrant peu à peu de brouillard
Et je criais parfois
Je brisais la cruche qu'on m'avait donné et de laquelle
s'échappaient des papillons
Qui montaient follement vers le lustre
Sous prétexte d'intermède encore de ballet qu'on tenait à me donner de mes pensées
J'essayais alors de m'ouvrir le poignet avec des morceaux de terre brune
Mais c'étaient des pays dans lesquels je m'étais perdu
Impossible de retrouver le fil de ces voyages
J'étais séparé de tout par le pain du soleil
Un personnage circulait dans la salle seul personnage agile
Qui s'était fait un masque de mes traits
Il prenait odieusement parti pour l'ingénue et pour le traître
Le bruit courait que c'était arrangé comme mai juin juillet août
soudain la caverne se faisait plus profonde
Dans les couloirs interminables des bouquets tenus à hauteur de main
Erraient seuls c'est à peine si j'osais entrouvrir ma porte
Trop de liberté m'était accordée à la fois
Liberté de m'enfuir en traîneau de mon lit
Liberté de faire revivre les êtres qui me manquent
Les chaises d'aluminium se resserraient autour d'un kiosque de glaces
Sur lequel se levait un rideau de rosée frangée de sang devenu vert
Liberté de chasser devant moi les apparences réelles
Le sous-sol était merveilleux sur un mur blanc apparaissait en pointillé de feu ma silhouette percée au cœur d'une balle

(dans Le Revolver à cheveux blancs, 1932)

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