mercredi 7 décembre 2011

Gérard de Nerval


Antéros

Tu demandes pourquoi j'ai tant de rage au coeur
Et sur un col flexible une tête indomptée ;
C'est que je suis issu de la race d'Antée,
Je retourne les dards contre le dieu vainqueur.

Oui, je suis de ceux-là qu'inspire le Vengeur,
Il m'a marqué le front de sa lèvre irritée,
Sous la pâleur d'Abel, hélas ! ensanglantée,
J'ai parfois de Caïn l'implacable rougeur !

Jéhovah ! le dernier, vaincu par ton génie,
Qui, du fond des enfers, criait : " Ô tyrannie ! "
C'est mon aïeul Bélus ou mon père Dagon...
Ils m'ont plongé trois fois dans les eaux du Cocyte,
Et, protégeant tout seul ma mère Amalécyte,
Je ressème à ses pieds les dents du vieux dragon.


(Gérard de Nerval, Les Chimères)

vendredi 2 décembre 2011

Fernando Pessoa et Azulejos



Rue Diario de Noticias, Lisbonne (Portugal).

Fernando Pessoa


Horizon

Ô mer antérieure à nous, tes frayeurs
Recelaient des coraux, des plages, des clairières.
Forcés les secrets de la nuit, de la brume
Serrée, des tourmentes endurées, du mystère,
Le Lointain ouvrait ses corolles, et le Sud sidéral
Resplendissait sur les nefs de l’initiation.

Ligne sévère de la lointaine côte –
Quand la nef se rapproche la falaise se dresse
De tous ses arbres là même où le Lointain n’avait que du néant;
La terre, de plus près, en sons et couleurs se déploie :
Enfin, quand on débarque, il y a des oiseaux, des fleurs,
Là où de loin n’était rien que l’abstraite ligne.

Voici le songe: voir les formes invisibles
De la distance vague, et, par de fort sensibles
Elans de l’espérance et de la volonté,
Aller quérir sur la froide ligne de l’horizon
L’arbre, la plage, la fleur, l’oiseau, la source –
Les baisers mérités de la Vérité.

(Fernando Pessoa, Message. Traduit du portugais par Michel Chandeigne et Patrick Quillier)