dimanche 30 janvier 2011

Louis Aragon (1897-1982)


Les étoiles à mille branches


Les superstitions des campagnes se glissent dans les veines du jeune marchand de pensées Voici la Chandeleur aux mains de crêpe et le sel par-dessus l'épaule Mais les mains les plus tendres se refusent au service de l'amour par un sentiment de douleur Yeux fermés à jamais sur le paysage de cristaux et de microbes Nous passons d'un pays d'image à une éternité de chaux vive Joli voyage Le colporteur qui m'a vendu des désirs impossibles à satisfaire ricanait en brandissant une petite boulette de cadmium Tout était orange dans ce temps-là jusqu'aux petites voitures qui emportaient des cœurs et des plaisirs futiles Le baromètre saurait dire si je vais rire alors à quoi bon Mais qu'on me passe cet orgueil de ciment cet orgueil de stuc mes bras n'ont-ils pas étreint des poussières de lumière et des poissons de clarté Aquarium des chansons et des courses monde plus fuyant que le mercure nous laissons s'écouler nos vies comme des larmes trop faciles ou la lave charmante des volcans Fera-t-on de notre histoire des broches pour les jeunesses et les rires de bonne famille Qu'une seule martre me prenne ce front d'éclair pour en faire un tapis ou une pendule je ne veux rien qu'abandonner mon destin à l'eau courante des caprices Ce qui sort des étreintes a la forme d'un cœur empenné Ainsi l'immense espoir que je nourris de maïs dans une petite cage dorée retrouve l'illusion de l'amour et les mirages abominables des fatigues Ciel des caresses et des balances tous les signes cabalistiques des passions sont les étoiles à mille branches que personne n'a jamais su dessiner et qui s'éveillent chaque matin sous les paupières de plomb d'une jolie véranda de feuillage au bord d'un fleuve sentimental et paresseux

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