jeudi 23 août 2012

Roger Vitrac



C'EST PHYSIQUE


Oubli, désespoir, sang donné
Vitres comme autant de phosphènes
Dont tout mon corps est annelé
Insectes noirs, porteurs de laine

Garnissez de silence Écho
De cette démarche élastique
Dont le mouvement est repos
Et tout ce qu'il souffre, musique

Les grains de blé, les étincelles,
L'étamine au visage peint
Le bois, la pierre universelle
Le poil de rat et la mie de pain

Le ciel sur le globe qui glisse
Entre votre antenne et la lueur
L'aile coupée et la silice
Qui brille aux doigts de l'égorgeur

L'écharde, le plomb et le clou
Tous les sels de la pyramide
Conspirent à rendre plus flou
L'enveloppe où je me dévide

Fourmis du désenchantement
Dans mes yeux quelle fourmilière
Où passent deux nuages blancs
Plumes-statues ô mes paupières

Lentement vous décomposez
L'homme de sable que vous faites
Jardinière vous ratissez
Ma chair pour de nouvelles fêtes

O mémoire femme oubliée
C'est sur cette jonchée d'épingles
Que tu t'étais déshabillée

Oubli désespoir sang donné

(Roger Vitrac, Poèmes délirants)

mercredi 2 mai 2012

Sulfate de magnésium alpha-tocoférum 400 v.i


Quand je mourrai éclaté
dans ma camisole de force où boivent
les langues de feu
gardez-moi comme une adhérence au corps de la passion

nous sommes des monstres à abattre
: des bijoux gras sur la vulve de bouddha

Les orignaux bandés au clair de lune
le sexe dur comme la Gaspésie
vomissent leurs vitamines sur les jeunes avocats
de l'oeuvre créatrice complète

Il n'est plus question de naître sur la paille glacée
la peau pourrie des médailles du martyr
le rejet/l'atrophie jusqu'à sa source mouvante

Vous ne nous connaissez pas
l'ordre de votre liquidation est encore secret
nous  nous incrusterons comme des emblèmes mongols
nous frapperons n'importe où n'importe quand
surtout dans le dos

Des fakirs
buvant à la fente de l'éternel
la glande injectée de gelée royale

à St-Vincent-de-Paul
les narcomanes et les terroristes condamnés

sont automatiquement référés au Dr Gustave Morf


chef du service psychiatrique
qui immédiatement leur administre
une séance de chocs
sans anesthésie froid ni curare
Les détenus en aile psychiatrique
sont les cobayes du fasciste docteur Morf

     Gustave Morf
     (...chambre à gaz de Pinel)
     2983 Soissons, Montréal
     737-0240.

À paraître Dossier Morf dans Québec-Presse.
En cour d'appel les juges
saouls comme des bottes suçant le greffier
durent statuer leur incompétence
tant qu'à devoir porter un jugement
sur nos recherches
le colonialisme chimique
les processus cellulaires
lors de la greffe du chanvre et du houblon

le thé dans mon ventre a mangé sa poche
le désir c'est la prière
Le corps plein de décharge comme un abattoir
je brûle tous les pushers une crise d'épilepsie
dans le parfum de police.



(Denis Vanier, Le clitoris de la fée des étoiles)

mercredi 7 décembre 2011

Gérard de Nerval


Antéros

Tu demandes pourquoi j'ai tant de rage au coeur
Et sur un col flexible une tête indomptée ;
C'est que je suis issu de la race d'Antée,
Je retourne les dards contre le dieu vainqueur.

Oui, je suis de ceux-là qu'inspire le Vengeur,
Il m'a marqué le front de sa lèvre irritée,
Sous la pâleur d'Abel, hélas ! ensanglantée,
J'ai parfois de Caïn l'implacable rougeur !

Jéhovah ! le dernier, vaincu par ton génie,
Qui, du fond des enfers, criait : " Ô tyrannie ! "
C'est mon aïeul Bélus ou mon père Dagon...
Ils m'ont plongé trois fois dans les eaux du Cocyte,
Et, protégeant tout seul ma mère Amalécyte,
Je ressème à ses pieds les dents du vieux dragon.


(Gérard de Nerval, Les Chimères)

vendredi 2 décembre 2011

Fernando Pessoa et Azulejos



Rue Diario de Noticias, Lisbonne (Portugal).

Fernando Pessoa


Horizon

Ô mer antérieure à nous, tes frayeurs
Recelaient des coraux, des plages, des clairières.
Forcés les secrets de la nuit, de la brume
Serrée, des tourmentes endurées, du mystère,
Le Lointain ouvrait ses corolles, et le Sud sidéral
Resplendissait sur les nefs de l’initiation.

Ligne sévère de la lointaine côte –
Quand la nef se rapproche la falaise se dresse
De tous ses arbres là même où le Lointain n’avait que du néant;
La terre, de plus près, en sons et couleurs se déploie :
Enfin, quand on débarque, il y a des oiseaux, des fleurs,
Là où de loin n’était rien que l’abstraite ligne.

Voici le songe: voir les formes invisibles
De la distance vague, et, par de fort sensibles
Elans de l’espérance et de la volonté,
Aller quérir sur la froide ligne de l’horizon
L’arbre, la plage, la fleur, l’oiseau, la source –
Les baisers mérités de la Vérité.

(Fernando Pessoa, Message. Traduit du portugais par Michel Chandeigne et Patrick Quillier)

samedi 16 avril 2011

Émile Nelligan


PREMIER

Antadonust ne tin ades
arbitrate
gnaurs no ice stew tarol
Roe en aires idol med
me notes trespasser
reign vetagon
gin idle or near rite eerie
prod ate if swim molest
won peel ides tip

pill stow war lend grasp raid dauk elannil reta slim atlas
steeps erie eat palaces as lutes
eels label wan
ens ed dahlias beets
tar men cage day
yearn Elsie nod lager
heaps ape engaged cider
shaps ave tears ret
tire pre set ted state torrential

ears do ran ham
hard vases sob
smeak heep is lawsuit
lane usage dose say
drears cars came seek
bams slit sere grand
rivet sand cheap yelp
puisa pen lime
sag silo the ten Etce

Dina ante at eve site
sit
meets man
see tint ton te oily
on canaree car er
stoia la stentorian
prereaenal


(Poèmes et textes d'asile)

jeudi 14 avril 2011

Guy Delahaye (1888-1969)


Âme d'alto (à Nelligan incompris)

Le délire enserre chaque fibre
Que la fièvre est venue amincir,
Et l'être immensément rêve ou vibre.

Des accords trop subtils et trop libres
Résonnent en lui pour l'adoucir,
Mais ils s'épuisent avant d'éclore.

Il se tait, c'est qu'alors il adore;
Il pleure, il rit, c'est que pour jaillir
Ce qu'il entrevoit refuse encore.

(Les Phases, 1910)